Améliorer le mouvement des travailleurs : leçons de la grande grève de 2010 en Afrique du sud
Lucien van der Walt, Ian Bekker
Terre et Liberté (Mai 2012), n°2
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Paru dans Zabalaza n°12, juillet 2011.
Traduction : SI de la CNT
En août et septembre 2010, une grande grève, à laquelle ont participé les anarcho-syndicalistes du Zabalaza Anarchist Communist Front, a secoué l’Afrique du Sud.
L’article qui suit est un extrait d’un long retour critique sur cette dernière.
La plus grosse grève depuis la transition parlementaire de 1994 en Afrique du Sud a montré la puissance des syndicats et des augmentations de salaires ont été obtenues. Nous devons nous réjouir de cette grève, en retenant certaines leçons:
• besoin de plus de démocratie syndicale ;
• besoin de faire grève pour lier travailleurs et communautés ;
• besoin d’autonomie de la classe ouvrière ;
• besoin d’agir hors et contre l’État.
1,3 million de travailleurs du secteur public ont cessé le travail en août et septembre 2010, sans rien toucher pendant quatre semaines. Ce fut la plus grande grève du secteur d’État dans l’histoire récente, éclipsant la longue grève de plusieurs mois de 2007 des syndicats de la COSATU[1]. Beaucoup d’écoles et d’hôpitaux ont fermé ; les tribunaux ont été perturbés parce que les sténographes et interprètes participaient à la grève. La police a arrêté des douzaines de grévistes pour « violence publique ».
La grève a été suspendue le 6 septembre et officiellement terminée par la COSATU le vendredi 13 octobre, même si aucun accord avec le gouvernement n’avait été conclu. Le lendemain, 51 % des syndicats en grève n’était toujours pas d’accord pour signer un accord, mais la COSATU s’étant retirée, l’ILC[2] a été obligé de suivre. Cet accord a certes permis une augmentationdes salaires de 7,5 % et une prime de 800 rands[3] mais a aussi démontré de nombreuxproblèmes dans le mouvement syndical.
Ainsi, les demandes d’augmentation des professeurs ou des infirmières auraient dû être liées aux demandes des communautés de travailleurs noirs et pauvres pour de meilleurs services de base. La grève en aurait été renforcée, et l’union entre les syndicats et les organisationscommunautaires aurait commencé à se reconstruire.
La grève a été de loin plus forte dans les écoles et hôpitaux des townships ; ce sont donc les plus pauvres qui ont ressenti ses effets. En effet, les hôpitaux privés n’ont été que peu affectés et les écoles bénéficiant des fonds publics les plus élevés étaient ouvertes comme d’habitude. Ces interruptions de service n’ont donc touché la classe dirigeante qu’à cause del’indignation publique, ce qui lui a permis d’opposer entre eux les travailleurs et pauvres en tant que producteurs, et les travailleurs et pauvres en tant que consommateurs.
C’est parce qu’ils n’ont pas pris en compte cette incidence que les syndicats ont magistralement échoué. Un tribunal a forcé des travailleurs « indispensables » à retourner au travail, sans résultat : à l’hôpital Chris Hani Baragwanath, un cortège de grévistes, principalement des infirmières et des travailleurs du nettoyage, a défilé dans l’hôpital alors que les patients n’étaient ni nourris, ni surveillés. Alors que les examens de fin d’année étaient imminents, les parents des écoliers s’inquiétaient du temps d’enseignement perdu. De telles actions ont été largement médiatisées, permettant à l’État de se présenter comme le gardien responsable du pays plutôt que comme un employeur misérable et hostile aux travailleurs qu’il emploie.
Cette hypocrisie consistant à décrire les travailleurs mal payés dans des équipements décrépis comme avides et déraisonnables servait les intérêts des multimillionnaires de l’ANC, mais n’excuse pas pour autant tels grévistes qui ont barricadé les entrées de l’hôpital. La condamnation de la grève par Zuma a eu un certain écho précisément parce que de telles actions sont largement et facilement condamnées à l’intérieur même de la classe ouvrière. Un jeu tactique plus imaginatif aurait aidé. En l’occurrence, si la grève était inévitable, les grévistes auraient dû ajouter d’autres revendications aux leurs. S’ils avaient rendu publiques ces demandes d’amélioration des écoles et hôpitaux publics et les avaient incorporées dansleur plate-forme, il aurait été possible non seulement de capter l’opinion, mais aussid’amener parents, étudiants et groupes communautaires à les rejoindre.
De la même façon, il était essentiel que l’accord dans l’éducation comporte une re-programmation des examens de fin d’année, ce qui n’a pas été fait, faisant s’évaporer le soutien de nombreuses catégories vulnérables.
La COSATU a raison de dire que les « défis nationaux massifs » ne seront pas résolus dans un cadre néolibéral. Mais elle se trompe clairement en plaçant ses espoirs dans une alternative avec le gouvernement, l’ANC ou des tables rondes tripartites. L’espoir réside dans ce que Bakounine appelait « les grands et bien-aimés gens du commun ».
Les syndicats d’Afrique du Sud jouent un rôle majeur dans la protection de la classe ouvrière. Mais les syndicats font face à de grands défis. Beaucoup d’efforts et de travail seront nécessaires pour amener les syndicats à travailler sur les causes des problèmes sociaux, et sur les liens entre les luttes des travailleurs et celles des chômeurs, entre les syndicatset les mouvements communautaires, développant ainsi un large front des classes opprimées vers une égalité et une sécurité économique et sociale, une démocratie participative et une justicesociale. Ce qui veut aussi dire que les syndicats ont besoin d’une vision claire de la transformation socialiste et libertaire, et que les syndicats eux-mêmes doivent rester sous le strict contrôle de la base.
(1) Congress of South African Trade Unions
(2) Independent Labour Caucus, qui regroupe 11 syndicats des services publics
(3) 800 rds = 78 euros environ